CESE et assurance des risques systémiques : vers une implication plus forte de l'Etat
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- 15 mai 2022
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Le rapport du CESE d’avril 2022, basé sur des études et des auditions de certains professionnels, souligne la globalisation et l’inter-connection des risques majeurs conduisant à une augmentation des risques systémiques dans le monde (climat, cyber et pandémie en particulier) pose un problème d’assurabilité en France et constitue à ce titre un défi pour les assureurs.
L’analyse se limite à ces trois risques, sans qu’il y ait une définition détaillée du risque systémique, encore moins une quantification, pas plus qu’un inventaire des différents risques systémiques potentiels. C’est donc une approche ciblée sur certains risques avec un état des lieux, une hypothèse de développement des risques et des recommandations au niveau national. Au-delà de l’assurance et d’éventuels nouveaux outils de couverture, le rapport évoque à juste titre l’asymétrie d’information entre certains acteurs privés et les acteurs publics dans le domaine des risques ainsi que le rôle de la puissance publique dans la gestion et la prévention des risques majeurs et propose des recommandations fortes sur la gestion publique des risques
Augmentation des risques et assurabilité
Le rapport définit et classe brièvement différentes typologies de risques (majeur, émergent, systémique…). Le risque systémique est considéré comme un risque interconnecté pouvant se propager au sein d’un système et d’un système à l’autre (sans que l’on considère sa taille, son extension et sa durée).
Il est considéré dans les dernières décennies une augmentation de la fréquence, de la gravité et de l’étendue des sinistres dans les domaines considérés. Le risque récent le plus élevé est bien entendu celui de la pandémie dont l’impact est évalué à 10 points de PIB en 2020 (donc probablement de l’ordre de 15 pts jusqu’à son extinction), en ce qui concerne les assureurs, il est considéré mal estimé en PE sans dommages et mal géré, une couverture de place en discussion pour les pandémies futures n’a pas abouti. Le climat est essentiellement vu à travers le régime catastrophes naturelles (qui est bénéficiaire depuis l’origine). Quant au cyber, même s’il est en forte augmentation, il ne pèse pas lourd dans la sinistralité et reste relativement peu assuré.
Les projections de sinistralité en 2050 se focalisent sur l’étude France Assureurs avec de fortes augmentations dans les catastrophes naturelles par péril, mais cette projection est peu étayée sur l’effet climat (hormis l’effet de richesse et la translation naturelle des habitats vers le littoral et les rivières) et ne constitue pas un risque systémique. Il est question d’un cygne vert climatique (rapport de la BRI en 2020) en écho au cygne noir de Taieb
Quant au risque cyber, dont l’augmentation est certaine, sa projection à 30 ans est encore plus aléatoire et n’est pas estimée. Pas de projection non plus pour la pandémie, qui est par principe aléatoire, même si la mondialisation favorise son expansion.
L’expansion des risques interroge leur prise en charge par l’assurance, en particulier pour les risques systémiques. Les assureurs peuvent dans ce contexte ajuster les primes et conditions d’assurance. La responsabilisation des assurés n’étant pas à l’ordre du jour dans les catastrophes naturelles, la prévention et la limitation des risques naturels reste peu efficace. Se pose le problème dans l’assurance de ces risques la mutualisation maximale (obligation d’assurance), le rôle de la réassurance et l’intervention de l’Etat. La réponse est différente selon les assurés, les entreprises ayant plus de flexibilité avec l’auto-assurance et la gestion des risques difficiles par des captives. Pour les particuliers, les questions de l’aléa moral et de la sous-assurance (voire non- assurance) sont importantes et il est difficile d’inciter à un comportement vertueux.
Des réformes du régime catastrophes naturelles sont envisageables pour son amélioration mais ont du mal à aboutir. Le système d’assurances récoltes est en cours de modification, avec une intervention de l’Etat pour les risques catastrophiques. Le rôle de l’Etat est amené à évoluer avec la croissance des risques systémiques.
Le CESE propose dans ce contexte un partage de l’information et un développement de l’acculturation aux risques, de l’étude des vulnérabilités, de la prévention et du risk management, en particulier pour les risques climatiques. Le risk management est à développer en particulier dans les PME où il est encore peu présent. Il est aussi très peu répandu dans la sphère publique et la France qui a des plans de crise n’a pas de gestion de crise. Il manque un un niveau de coordination générale de gestion des risques, de la prévention et des politiques publiques.
Il y a par ailleurs un besoin d’une meilleure indemnisation des sinistres (rapidité, efficacité, transparence…), de partage du risque et de responsabilisation, en adoptant des mesures de prévoyance et de prévention, permettant une mutualisation plus juste et efficace.
Les leviers pour renforcer l’assurabilité
Les principales recommandations du CESE sur ces différents sujets sont les suivantes :
Pilotage par l’Etat Stratège en créant au plus haut niveau une autorité politique chargée de la prévention et de la gestion des risques majeurs
C’est la proposition phare du rapport pour envisager de mieux anticiper et gérer les risques systémiques au niveau national. Le CESE demande une incarnation politique en tant qu’outil de management des risques de l’Etat stratège, avec un ministère ou une délégation auprès du premier ministre, doté de moyens pérennes et de pouvoir d’arbitrage. Cette autorité serait chargée de la cartographie des risques, d’une évaluation des impacts et des plans de prévention.
Introduction de la culture et de la prévention des risques dans les formations
Le manque de connaissance sur la prévention des risques induit l’introduction de cette approche dans différentes formations (scolaire et universitaire).
Développer et valoriser les formations de risk management et d’expertise dans les secteurs privé et public
La fonction de risk management dans le public et le privé doit être renforcée : ouvrir le recrutement, augmenter les filières et développer les formations.
Faire respecter les plans de prévention des risques naturels dansles PLU
Rendre plus stricts, fiables et actualisés les plans de prévention.
Inciter les assureurs à agir dans le cadre des accords de Paris sur le climat, y compris à travers leurs investissements
Favoriser les désinvestissements des assureurs sur les énergies fossiles et les investissements dans les secteurs à bas carbone
Favoriser les investissements de prévention sur le bati
L’importance des investissements de prévention décourage souvent les particuliers, il convient de créer un dispositif d’incitation fiscale, en particulier dans les zones à risque
Soutenir les investissements de prévention des entreprises
Les dépenses de prévention dans les secteurs public et privé devraient bénéficier d’un sur-amortissement ou d’un crédit d’impot
Orienter les investissements publics vers des projets favorables à l’environnement
La méthodologie comptable devrait encourager la valorisation de ces investissements devenant amortissables.
Augmenter le budget du Fonds Barnier et élargir les critères d’éligibilité
Le fonds de prévention des risques naturels majeurs devrait devenir un outil de financement de la politique publique de prévention avec plus d’abondement et des critères d’éligibilité
Rendre accessible aux particuliers une couverture de base sur les garanties essentielles
Améliorer la lisibilité des contrats d’assurance, faciliter leur compréhension, introduire un profil de risques, établir la transparence sur les risques couverts et aider la prise de décision de l’assuré sur l’auto-assurance. Offrir un socle de garanties dans le cadre d’un contrat simplifié de type micro-assurance.
Créer une branche d’assurance cyber et un contrat socle cyber pour les PME
La création d’une branche spécifique cyber devrait favoriser la visibilité pour les assureurs et aider au développement des couvertures.
Une couverture socle PME devrait favoriser le développement de ces contrats
Préparer l’assurance et la réassurance à une hausse des sinistres climatiques, faire évoluer le régime catastrophes naturelles sur la sécheresse et l’ouvrir à la réassurance privée
Proposition d’augmenter la surprime catastrophes naturelles à 18 pct sur une durée de 30 ans, clarifier et éventuellement sortir la sécheresse du régime.
Ouvrir aux réassureurs privés pour élargir le partage des risques.
Compléter l’assurance récoltes par de l’assurance paramétrique
L’augmentation de la couverture assurance des agriculteurs pourrait être favorisée par une assurance paramétrique en parallèle avec la garantie d’Etat
Favoriser le développement de provisions d’égalisation pour la couverture de PE sans dommages
La couverture future des pertes d’exploitation sans dommages n’ayant pas abouti dans les discussions de la profession suite à la pandémie, une solution intermédiaire serait d’aider les entreprises à provisionner ces risques via des captives et des provisions d’égalisation.
Commentaire
Malgré son caractère parfois touffu, sa focalisation limitée à quelques risques majeurs et ses recommandations de nature très variée, dont certaines ne sont pas uniquement reliées aux risques systémiques, le rapport du CESE marque une étape importante avec un premier diagnostic sur la gestion publique des risques majeurs de la part d’un organisme public et reconnu.
Bien que des membres de l’APREF (Association des professionnels de le réassurance en France) et de l’ADRIMAP (Association pour le développement du risk management public) et que leurs travaux sur la cartographie des risques majeurs et sur le risk management public ne soient pas mentionnés dans la bibliographie, les 3 premières préconisations du rapport CESE qui sont les plus novatrices sont en droite ligne dans le fil des réflexions de l’APREF et de l’ADRIMAP. Elles marquent en effet la possibilité d’un changement de paradigme dans la gestion des risques majeurs par l’Etat avec une vision holistique, une approche globale basée sur une volonté politique forte et une centralisation au plus haut niveau avec une mission d’analyse, de cartographie, de prévention, de limitation et de couverture des risques majeurs. La concordance de ce rapport avec des échéances électorales pourrait favoriser la mise en place d’une structure adéquate.
Les autres préconisations sont intéressantes mais auraient moins d’impact immédiat et sont plus des mesures techniques ayant des effets à moyen terme dans la couverture spécifique de certains périls.
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